Association des Mycologues Francophones de Belgique asbl
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AMFB Retour "lactaires"

Lactarius fraxineus Romagnesi,
une espèce peut-être pas si rare que cela !

Jean-Pierre Legros & Marcel Lecomte

La 1ère quinzaine de septembre a connu, en 2010, une poussée exceptionnelle dans les zones calcaires de Wallonie. Le hasard faisant merveilleusement bien les choses, nous avions choisi depuis 3 ans d’y organiser le congrès des Russulales durant cette période, avec la participation de tous les spécialistes européens des lactaires.
René Chalange nous avait déjà mis en appétit en apportant une imposante collection, originaire de la région parisienne, de ce qu’il détermine comme L. fraxineus. Puis Philippe Cerclay a trouvé un biotope très riche, à quelques km du lieu du congrès, qui a fourni plusieurs dizaines de spécimens.

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Collection de Lactarius fraxineus de la région parisienne (photo R. Chalange).

DESCRIPTION macroscopique :

Chapeau : (30-85 mm), convexe au début puis plan-déprimé ; cuticule rouge-brun, finement ruguleuse, grasse, visqueuse (rappelant Lactarius hysginus), ça et là guttulée, avec des zonations plus ou moins marquées, plus présentes vers la marge et au centre de la dépression où se lit une sorte d’ocelle plus sombre.
Lames: adnées-décurrentes, assez serrées, brunâtres pâles, fourchues et parfois crispées- anastomosées près du stipe.
Stipe : (20-60 mm) cylindrique, atténué en bas ou, au contraire, légèrement dilaté ; gras, visqueux au point de glisser sous les doigts ; toujours creux, concolore au chapeau, pourvu de scrobicules plus volontiers situées dans le bas ; les pieds sont fréquemment connés par deux, et parfois même cespiteux.
Chair : moyennement ferme, concolore, un peu plus rouge vers le bas et à l’intérieur de la cavité du stipe ; lait blanc se tachant de gris-vert (selon R. Chalange), car nous ne l’avons pas observé) ; saveur distinctement âcre, à peu près inodore, mais sur des spécimens très imbus ; dans des conditions hygrométriques normales, odeur bien marquée de Lactarius quietus mêlée à celle de Lactarius hysginus ; c’était particulièrement évident sur les exemplaires français.

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Collection de Lactarius fraxineus de Heer-Agimont, 12/09/2010 (photo J.P. Legros).

Habitat :

Sur sol frais, en ronds de sorcières à proximité de Quercus avec lequel il semble associé et non loin de Corylus et d’Acer, en compagnie de Lactarius chrysorrheus, Lactarius subumbonatus et Russula luteotacta ; 12/09/2010, Heer-sur-Meuse ; legavit P. CERCLAY, determinavit R. CHALANGE, collection présentée aux Journées des «Russulales» organisées à Massembre du 7 au 12 septembre 2010 (herbier JPL 2010006 & ML 201009001 & A.M.F.B.).

MICROSCOPIE :

Spores : 6,0-7,0 x 5,0-6,0, réticulées (ou subréticulées ? un peu ailées ?)
Basides : 41-46 μm de long, avec stérigmates de 3 – 4 μm Macrocystides : 72-78 μm de long
Cuticule :

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Basides et cystides, observées dans le rouge Congo SDS (photos M. Lecomte).

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Macrocheilocystide
– A gauche, observation en lumière classique, avec coloration au rouge Congo SDS
– A droite, la même vue en DIC (contraste interférentiel de Nomarski) (photos M. Lecomte – Zeiss planapo 63x, 1,40).

Autres RECOLTES de REFERENCE :

⇒ Paul Pirot, France ; leg. Maxime Chiaffi, forêt de Gemme (Vendée), sous Corylus et Clematis alba, 04/06/2003.

⇒ Leg. Françoise Draye, Citadelle de Namur, sous Quercus & Fagus, 05/07/2003.

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Autre collection de Lactarius fraxineus de Heer-Agimont, 13/09/2010, où on voit les pieds remarquablement connés (photo J.P. Legros)

⇒ Camille et Gaby Mertens : Barvaux sur Ourthe, en bordure de chemin humide, sous feuillus avec notamment Betula ; 27/09/2006. Merlemont.

⇒Leg. Francis Farcy, 1 exemplaire sous feuillus mêlés (Carpinus, Quercus et Populus tremula) : pas de Fraxinus excelsior à proximité, même lointaine ; en bord de route dans une berme amendée fréquemment par dans entretiens réguliers ; 15/09/2008.

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Spores observées dans le réactif de Melzer (Zeiss, 63x, 1,40 planapo).

⇒ Leg. Dominique Schott, forêt de Haguenau (France), 12/10/2008.

⇒ Leg. Patrice Tanchaud : chapeau 5 cm ; odeur fruitée ; lait âcre, abondant, blanc immuable sur le mouchoir, légèrement olivâtre sur les lames ; 12/06/2008 & 13/06/2010.

⇒ Leg. René Chalange, forêt de Sénart (Essonne), France, sous feuillus (charmes, chênes, peupliers, ..) en terrain argileux ou argilo-calcaire ; une douzaine d’exemplaires ; 07/09/2010.

⇒ Leg. Marie-Paule Vigneron, forêt de Villefermoy (Seine et Marne),, France, terrain argilo-calcaire ; une douzaine d’exemplaires ; 07/09/2010.

COMMENTAIRES :

Absent de la plupart des ouvrages généraux et même spécialisés dans ce genre, cette espèce semble rare. Camille Mertens, qui l’avait récoltée à Barvaux sur Ourthe, l’avait apporté à Herbeumont où s’est tenue la session 2006 du Congrès de la SMF.
Lactarius fraxineus, créé par Henri Romagnesi (voir la diagnose ci-dessous) fut probablement mal nommé puisque Fraxinus excelsior ne développe pas de mycorrhizes (com. pers. de René Chalange). La référence à F. excelsior n’est cependant pas tout à fait fortuite car le taxon affectionne les lieux humides où se retrouve volontiers le frêne. Cependant, il n’est pas tributaire des lieux humides, car on le trouve aussi dans des zones plus sèches. Pour ce qui concerne notre collection, le frêne le plus proche se trouvait à plus de vingt mètres, ce qui exclut toute association directe avec nos champignons.

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Spores observées en DIC (Zeiss, 100x, 1,30 Neofluar).

Sur le terrain, ce lactaire est probablement souvent confondu avec L. quietus avec lequel il partage plusieurs points communs, comme
l’odeur de lierre ou de lessive chaude (même si parfois, elle est assez faible), la présence fréquente d’un « bec de lièvre ».
Un examen attentif dissipe pourtant toute confusion possible. D’abord et surtout, le chapeau et le stipe de Lactarius fraxineus sont visqueux, gras et collants, alors que L. quietus est tout à fait sec. Ensuite, le stipe de ce dernier s’assombrit nettement vers le bas alors qu’ici il est de teinte uniforme. Encore, jusqu’à preuve du contraire, L. quietus n’est pas cespiteux cependant que notre espèce présentait cet aspect tant sur la récolte de Massembre que sur les exemplaires de France ....
R. Chalange trouve cette espèce dans la forêt de Sénart depuis très longtemps et il y a parfois plusieurs stations par an. Cette année, l'originalité de la poussée, c'est que les spécimens étaient cespiteux par 7 ou 8. Il y avait plusieurs "touffes" sur quelques mètres carrés.
Ceux de la forêt de Villefermoy étaient également cespiteux cette année ; R. Chalange connaît cet endroit depuis longtemps; la photo et la description de l’espèce, qui figurent dans la monographie de Maria Teresa Basso viennent de cet endroit ; on trouve souvent l'espèce dans les allées vertes de la forêt, bordées des mêmes arbres qu’à Sénart.

DIAGNOSE :

Pileo (3)-5-6,7 cm lato, cyathiformi vel alte infundibuliformi, saepe margine undata, involuta, e rufulo brunneo, in mentem L. quietum multum revocante, obscure zonato, obnubilo, udo, nec glutinoso. Stipite 2-3 x 1-1,7 cm, saepe deorsum attenuato, mox partim vel toto cavo, concolore, levi, pruinoso, circulo albido sub lamellis, raro maculato. Carne crassa, firma, rufula.· Odore debili, haud ingrato. Lacte albo, paulum acri, ope KOH non flavescente. Lamellis stipatis, sed crassiusculis, inaequalibus, saepe furcatis vel inter se connatis prope stipitem, longe decurrentibus, falciformibus, (2,5)4-5 mm. latis, cremeis, vulneratis e griseo-olivaceis ope lactis. Sporis pallide cremeis. - Sporis 6,5-7,2 x 5,2-5,7 μ, globosis, cristatis réticulatis. Cystidiis fusiformibus, ope SV caerulescentibus, 65-75 x 7-11,5 μ. Cute filamentosa, parum gelata, sine pigmento extracellulari.
Sur Fraxino excelsiore, aestate. - Typus in Herb. Romagnesi, quod tradetur ad Museum Hist. Nat. Paris, n° 62.74.

Description par P. Tanchaud (patrice.tanchaud(at)gmail.com) de sa récolte :

Chapeau : diamètre 3,8 à 5 cm ; aspect humide et collant (comme les Pyrogalini) ; couleur brun rougeâtre vaguement zoné et givré ; forme irrégulière avec aspect « bec de lièvre », rappelant un peu L. quietus ; bordure peu régulière.

Lames : régulièrement fourchues-anastomosées près de l’attache au stipe ; présence de lamelles et de lamellules ; couleur carnée devenant orangée avec l’âge. Chair couleur blanc crème, immuable à l’air.

Pied : cylindrique, 2,6 cm de long, rose carné dans la zone d’attache avec le chapeau et devenant brun sale vers la base qui est appointie uni, concolore au chapeau avec zone blanche au sommet sous les lames.

Ecologie : arbres aux alentours dans un rayon de 10 m : chêne, acacias, frênes, châtaigniers et noisetiers.

Lait : blanc abondant, âcre, immuable sur mouchoir, olivâtre grisâtre sur les lames. Odeur fruitée.

Microscopie : spores mesurées dans l'eau 6-7,5(8) x 5-6 μm ; basides 4-sporiques.

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Montage photo de Patrice Tanchaud.

Régis COURTECUISSE le range juste à côté de L. trivialis (Les Champignons de France, chez Eclectis, n°1547, p.388).

HEILMANN-CLAUSEN et al. ne le mentionnent pas dans leur monographie (The Genus Lactarius).

(pdf, 1,7 Mo).

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